La présence qui écrasait son être était absente... pour une fois, Kwala se tenait - en retrait, certes, mais elle se tenait en souveraine accomplie aux côtés de son époux, entre l'ombre dans laquelle susurrait Kutjah et la lumière qui illuminait la silhouette de Saqr. On la remarquait plus pour une fois, elle n'avait pas à subir le poids des ténèbres dans lesquels Raya ne cessait de la pousser.

Mais elle était loin de voir cet instant comme un instant de gloire.

Elle pensaient aux Diggers... Ou défunts Diggers plutôt. Kwala n'avait pas pleuré, elle se contentait de garder le désespoir au fond de son coeur. Elle n'avait plus la force de faire quoi que ce soit, plus la force de pleurer, plus la force de se lamenter... Il n'y avait presque plus rien au fond de son coeur. Seule cette foi en l'Unique la gardait toujours en vie... Mais là n'était pas sa préoccupation principale pour l'instant, cat l'aura que Saqr dégageait ne lui inspirait rien qui vaille, et encore moins le faisait celle que Kutjah. Elle était derrière elle, mais elle n'avait guère besoin de se retourner pour sentir l'ambiance maléfique qui, comme un fléau, une épidémie mortelle, s'échappait de son pelage aux couleurs maladives. Et dire que Saqr avait chassé les Walkers de peur d'une contamination... Le danger de cette Pantherinae en valait au moins cent de ceux des Walkers.

Kwala n'aimait pas Kutjah. Non, quelque chose en elle ne tournait pas rond. La façon avec laquelle elle surgissait, pile au moment où elle pouvait faire basculer le pays pour la servir. La façon avec laquelle elle avait remplacé l'ombre de Saqr - même plus que cela car les ombres quittaient le monde à la tombée de la nuit, les murmures de Kutjah, eux, ne faisaient que s'intensifier avec elle. Tous ces échos d'insinuations qui lui parvenaient, ces propos antipathiques, pour ne pas dire haineux, envers l'Unique. Cet aura, cet atmosphère qui l'entourait constamment et qui, comme une rose, vous attire par son élixir divin... pour réduire vos mains en charpie lorsque vous la saisissiez. Et par dessus tout, ses yeux. Ces yeux dorés qui, dès qu'ils avaient croisés celui de la souveraine, se voilaient d'une expression indéfinissable, une pointe de mystère sournoise, qui sous-entendait elle ne savait quelle prière aux démons...

Et cette prière aux démons, elle ne se fit pas attendre.

- Un bon Roi fait toujours les bons choix, seigneur Saqr. C'est ce que l'Omen veut. C'est sa volonté, alors qu'elle soit faite!

... Non... Non !

- Mes frères, mes soeurs, nous avons été dupés. Nous avons accueilli parmi nous des monstres qui n'avait qu'une seule volonté: réveiller le mal. Le mal qui forme avec l'Unique une seule et même entité! Frères, Soeurs, les Prius nous ont trompés depuis le début ! cria-t-il alors que ses gardes se resserrèrent dans la foule pour séparer les ressortissant du Sud des félins antiques.

Elle n'en croyait pas ses oreilles. Kwala, oubliant un instant le protocole qu'elle avait déjà énormément de mal à suivre, écarquilla grand les sourcils, laissant la lumière faire scintiller le doré de ses yeux, si différent de celui où les ténèbres s'étaient faites reines de Kutjah. Cela ne pouvait, cela n'était pas possible ! Saqr ne pouvait pas aller jusque là !

Elle hésita à ouvrir la bouche. Parler, comme une ombre, l'insignifiant rai de lumière qui voulait éclairer les abysses ? Se taire, faire ce qu'elle avait toujours fait ? Rester simple témoin des événements ?

- Ils ont décimés un peuple en réveillant une bête antique, un monstre de cruauté qui a inondé les souterrains des Diggers! Leur volonté est de détruire ce qui ne leur ressemble pas, petit à petit il comptait prendre le pouvoir dans le Sud. Mes frères, mes sœurs, ne vous laisser pas avoir ! Ils veulent détruire le Sud, ils sont envoyés par le Nord et l'Unique!

Les douze coup de minuit sonnèrent avant qu'elle ne puisse se décider.

Déjà, l'expression du peuple se muait en traits rageurs, et ce qui lui brisa le cœur, encore une fois, était la vue des enfants qui acclamaient les propos du roi, le croyant naïvement. Les habits en haillons, les visages barbouillés de terre, et maintenant, des cœurs manipulés comme de simples marionnettes...

- Pendant que le Sud souffrait d'une terrible épidémie où était l'Unique? Pas ici en tout cas! Et le Nord, en a t-il souffert de cette épidémie? BIEN SUR QUE NON MES FRÈRES! C'est en l'Omen que nous devons faire confiance désormais et nous nous devons d'accueillir parmi nous les rescapés Diggers! Désormais nos portes sont fermés au reste du monde, le Sud et les Diggers ne forme plus qu'un seule et unique peuple:la Grande Monarchie Omanique!

Devait-elle se réjouir ? Doublement reine, quel prestige ! Mais quel prestige était cela à côté du reniement de l'Unique, des cérémonies macabres de l'Omen ? Rien, que nenni, voilà ce qu'était le titre de reine !
Elle allait tenter une nouvelle fois de parler... et c'est alors qu'une Prius, au premier rang de la foule, pris la parole.

- MENSONGES ! Si l'on souhaitait décimer un peuple, on le ferait nous-mêmes en leur plantant directement nos crocs dans chacune de leur gorge !

C'était l'occasion ou jamais.

- Elle n'a pas tort...

Mais un écho aurait été plus fort, parions même que le garde presque collé à son flanc n'avait rien entendu.

- Saqr que fais-tu?! Allons! cria le commandant. Nous sommes ici depuis plusieurs mois maintenant, nous faisons parti de la cité, nous nous mêlés aux vôtres, en aucun cas ce qui s'est passé dans l'Atlantis n'a pût été intentionnel. Saqr, je te le demande en tant qu'allié, revoit tes paroles, attend au moins le retour de Raya, Octurn, Rashall et Sioban pour savoir ce qu'il en est réellement !

Ecouter, regarder, se taire et analyser... Revenons à la manière habituelle.

- Qui tire donc les ficèles Saqr?! Qui t'a mis ces idées en tête? Tu n'es pas toi! hurla le Prius.

Avait-il seulement raison ? Qui était Saqr dans le fond ? Elle-même, supposée reine, ne pouvait répondre à cette question. Il était si manipulateur qu'il était capable de tout, un jour fidèle de l'Unique, l'autre adepte du culte omanique... L'important, c'était d'arriver à ses fins.

Et là encore, peut-être qu'elle se trompait.

- PETIT !

Le cri de Semias fit sursauter Kwala, qui retint un deuxième sursaut à la vue du soufflet magistral qu'il infligea au commandant. Et c'est avec horreur qu'elle vit les sbires sudistes s'approcher des Prius, couverts par l'énergie de l'hostilité que la foule leur octroyait. L'orage approchait... Et la voici à nouveau, regardant comme un fantôme impuissant ce qui se passait devant elle.

- QU’ILS PARTENT !

Ce fut l'éclair qui précéda le tonnerre, le grondement infernal d'une foule qui s'engagea dans une fervente répétition de la rengaine, une symphonie violente, tumultueuse, qu'un peuple qu'on avait à nouveau réussi à manipuler clamait à tue-tête.

Ecouter, regarder, se taire et analyser... Kwala leva les yeux vers le ciel, adressant sa détresse à Celui qu'on venait de renier...

- NOUS N’AVONS NUL BESOIN DE MÉCRÉANTS SUR NOS TERRES !

Oh Unique... Faites quelque chose...