L’enrichissement est une chose. L’investissement en est une autre. Et la jeune grise allait devoir rapidement se mettre à la deuxième. En effet, depuis peu, son bagage patrimonial prenait de l’ampleur… Et devenait sans doute trop visible à son goût. Bien que son maître gardait en sa possession une partie des biens de la voleuse – lui mettant en lieu sûr – elle avait de plus en plus d’argent… Or, son métier officiel ne lui permettait nullement de posséder autant. Il lui fallait donc cacher cela par des substituts de cadeaux nobles : des bijoux. On lui avait d’ailleurs conseillé un bijoutier dans le quartier noble qu’elle s’empressa de rejoindre. Elle avait pris grand soin de porter ses bijoux habituels ainsi que son étoffe pour ne pas attirer l’attention plus que de raison et se montrait élégante comme à l’accoutumée.

Elle entra avec délicatesse, saluant le commerçant d’une faible et timide voix. Avec tout autant de douceur, elle pénétra les lieux et laissa son regard parcourir les objets précieux. Son regard vert se mit à briller de mille feux, comme celui d’un enfant devant un tas de sucreries : des pierres de mille et une couleurs ornaient de magnifiques parures ; des broches se tenaient dans un coin, rehaussant avec noblesse leur promontoire ; des perles lorgnaient les acheteurs potentiels, les séduisant par leur simplicité et, en même temps, leur raffinement sans nom. Anwani avait l’impression de se retrouver dans le plus grand des paradis de pierres précieuses, comme si tous les malheurs qui s’étaient abattus sur la ville avaient disparus en un éclair. Un doux enchantement qu’elle aurait espéré éternel.

Mais le réveil fût brutal : elle était là pour investir – peut-être, si cela lui convenait réellement – son argent en bijoux. Transformer ce qui ne devait être vu en visible. Faire oublier qu’en tant que divinatrice ce n’était pas de l’argent qu’on lui donnait mais des vivres et des babioles qui ornaient sa précaire tanière. Mettre en doute les rumeurs à son sujet, quant à ses activités illicites. L’amusement et l’émerveillement n’avaient donc que peu de place dans cette entreprise. La lionne reprit donc un air plus sérieux, tout en gardant son sourire habituel, gentil, presque… Gentillet pour certains. Elle se voulait aimable et arborait donc la marque de l’amabilité et de la sociabilité : le sourire.

La divinatrice s’avança vers certains des comptoirs où se trouvaient d’innombrables pièces de grandes valeurs.

« Tout ceci est magnifique... » Laissa-t-elle échapper.

Anwani observa les deux mâles, s’amusant de leur complicité et s’en approcha en faisant teinter ses anneaux d’or blanc sur sa corne gauche. On aurait pu y voir une ressemblance avec certains bâtons de divination que l’on fait sonner en les tapant sur le sol : une habitude prise pour passer inaperçu. Une habitude qui était devenue aussi naturelle que de marcher, une évidence absolue sous la forme de divinatrice qu’elle adoptait si souvent. Elle s’arrêta au niveau du comptoir, regardant avec malice les deux mâles complices.

« Oh vous faites également des vêtements ? »

Demanda-t-elle, intriguée, un doux sourire aux lèvres. Elle n’avait remarqué que les bijoux, certainement attirée par la brillance, la rutilance des lieux et de la luminosité que toutes ces pierres apportaient au riche magasin. De ses pupilles vertes, elle observa le luxueux fil, comme s’il s’agissait d’un énième bijoux. Il est vrai que les vêtements peuvent aussi avoir ce côté rutilant et intriguant, tout scintillant comme les bijoux. Anwani se souvint alors d’un noble qui, lorsqu’elle l’avait espionné pour le compte de sa femme, portait une sorte de col bleu nuit orné de motifs végétaux en fils d’or. Elle avait trouvé ce petit vêtement sublime et elle se demandait désormais si celui-ci ne venait pas du magasin de ce Henri et de ce tigre arrivé peu après…

« Vos marchandises sont magnifiques… » Affirma-t-elle en parcourant les étalages de loin, avec une véritable admiration. « Vos travaux sont sublimes. Qu’auriez-vous à proposer à une jeune divinatrice qui ne soit pas trop… Clinquant ? »

Elle réfléchit, tournant la tête sur le côté, le regard dans le vide : ce n’était pas vraiment le bon terme… Et repartit de plus belle, sur un autre sujet qui l’intéressait tout autant.

« Ou comme étoffes ! Quelque chose que je pourrais mettre autour de mes épaules ou de mon cou ! »

Elle repensa de nouveau au col – bien qu’il fût clairement créé pour un individu masculin – ce genre d’ornements lui plairaient tout autant que ses anneaux ! Comme une enfant, elle sautillait presque de joie à l’idée de porter quelque chose de nouveau et provenant de cette boutique : en réalité, c’était la première fois qu’elle rentrait dans un magasin pour acheter autre chose que de la nourriture, et encore ! C’était donc une véritable explosion de joie intérieure pour la jeune lionne. Presque extérieure au vu des étoiles dans ses yeux.

Les deux énormes matous agissaient de concert pour proposer à la lionne un tas de produits et tenter de définir ce dont elle pouvait réellement avoir envie. Anwani ne put s’empêcher de penser à quel point ils étaient complices pour agir ainsi. Elle rougit légèrement, sa truffe frétillant doucement lorsqu’on parla de plaire : il n’y avait personne en ce moment qui pourrait l’intéresser mais sait-on jamais…

« Nul conjoint et aucun prétendant pour le moment ! Ce serait plus pour mon bon plaisir mais je ne serais pas contre de paraître séduisante. »

Argua-t-elle avec malice.

« Je n’ai jamais porté de chaînes mais les écharpes et les foulards me semblent de bonnes idées, me permettant de cacher mes cornes sur mes épaules. » Elle fit glisser son étoffe sur le côté et se tourna de sorte à dévoiler les multiples petites cornes – pas forcément disgracieuses mais pas non plus de magnifiques atouts. « Pour les pierres j’ai l’habitude de porter des perles d’eau douce, j’aime leur simplicité. Mais je pense que les Agathes me plairaient grandement ou d’autres pierres aux tons pastels, de même pour les vêtements ! »

Elle se retourna et entrepris de remettre son étoffe, souriant avec amusement et une pointe d’inquiétude légère.

« J’espère ne pas me montrer trop compliqué pour vous, messieurs les gentlemen. »

Le cornibus sembla quelque peu surpris qu’Anwani souhaite cacher ses multiples petites cornes entre ses deux omoplates. Un sourire se glissa sur les lèvres de la grise : il est vrai que cela pouvait paraître surprenant mais la plupart de ses clients trouvaient cela disgracieux à ses débuts. Elle avait donc pris l’habitude, depuis qu’elle avait obtenu l’étoffe, de les cacher. En revanche, l’umbra aux couleurs rouges sembla plus enchanter et entraîna la jeune demoiselle vers une aile réduite où, comme de multiples bijoux des plus précieux, des tenues se trouvant dans des coffres se cachaient.

La grise ne put s’empêcher de laisser s’échapper un petit rire en voyant l’umbra refermer le coffre où se trouvaient des tissus plus félin qu’elle-même ! Néanmoins, remarquant que le dénommé Mordred n’avait sans doute pas vraiment apprécié, elle décida de jouer le jeu du bleu, haussant la voix juste de sorte à ce que le vendeur de bijoux entende.

« Kitch ne veut pas dire que cela ne peut pas être séduisant ! Regardez, avec mes couleurs fades, je suis sûre que, si je voulais quelque chose de coloré, l’une de ses étoffes m’iraient parfaitement ! »

Elle lança un discret clin d’oeil au vendeur qui se tenait à côté d’elle avant de remettre son attention sur les tissus : tous plus beaux les uns que les autres. Son expression reflétait l’extase intérieure qu’elle était en train de vivre face à autant de belles choses. Son petit coeur se réchauffait volontiers et elle imaginait déjà à quel point ses clients habituels apprécieraient un léger changement chez elle. Après tout, rien ne vaut le changement quand, tout autour de vous, votre vie change.

Un voile de tristesse se glissa pendant une seconde : devrait-elle prendre une étoffe dans les tons noirs, comme si elle était en deuil de son frère ? Peut-être.

Elle reprit des couleurs en se tournant vers celui qu’elle avait donc identifié comme étant Henry.

« Que me conseilleriez-vous ? Oh… Elle se retourna vers Mordred, plus loin. J’aimerais également beaucoup voir ce que vous pouvez me proposer messire ! »

Lança-t-elle avec entrain. Elle lorgna une étoffe dans les tons rouges, plus pimpante que ce qu’elle avait l’habitude de porter.